BASE-BALL -- Le maigre héritage de Jackie Robinson
Les Etats-Unis ont célébré le dimanche 15 avril le soixantième
anniversaire du premier match disputé par un joueur de couleur
noire dans le championnat américain. Il s'appelait Jackie
Robinson et jouait alors pour le club des Dodgers de Brooklyn.
Ses héritiers se font aujourd'hui rares sur les terrains
américains, le nombre de joueurs noirs ne cessant de diminuer
depuis une dizaine d'années.
Les hommages à Robinson [1919-1972] vont encore pleuvoir cette
année dans les quatorze stades de base-ball qui accueilleront
les matchs de première division. Ils vont également mettre
au premier plan une question préoccupante pour ce sport·:
l'empreinte de Robinson sur le base-ball est-elle en train de
s'effacer·?
Dans les grands clubs, les Africains-Américains n'ont jamais
été aussi peu présents sur le terrain depuis les années·1960·:
en étudiant la composition des équipes en ce début de saison,
on s'aperçoit qu'ils ne seront que 8,3·% [contre 17·% en
1997], soit·72, y compris les joueurs blessés. Quant au nombre
de Noirs occupant des postes au marketing, à l'administration
et à l'entraînement, il n'a pas augmenté depuis dix ans.
Même le siège de la Major League Baseball (MLB), qui fait
travailler environ 470·personnes, la plupart à New York,
compte aujourd'hui moins d'Africains-Américains dans ses
personnels qu'en 1997. Néanmoins, deux des cinq directeurs
adjoints de la MLB sont africains-américains.
Robinson, qui a continué sa croisade pour l'égalité des
chances après avoir mis fin à sa carrière sportive, en 1956,
n'accepterait certainement pas cet état de fait. "Il voulait
que les choses changent et il se battait pour les faire
changer, affirme sa veuve, Rachel Robinson. Il penserait
sûrement que la lutte continue et ne se satisferait pas de
cette situation." "Sommes-nous là où nous devrions être·?
demande Jimmie Lee Solomon, vice-président marketing de la
MLB. Non. Nous avons beaucoup à faire. Y travaillons-nous·?
Oui, nous y travaillons dur."
Le nombre de joueurs noirs en baisse
Pour augmenter la représentation des Noirs dans le base-ball,
la MLB a lancé des offensives sur plusieurs fronts, telles
que le Diverse Business Partners Program (DBP) et le Reviving
Baseball in Inner Cities (RBI), un programme à destination de
s jeunes qui a notamment aidé les joueurs de première division
Dontrelle Willis, des Florida Marlins, et Coco Crisp, des
Boston Red Sox, à devenir professionnels. Mais ces efforts
restent vains face à d'autres problèmes, en particulier le
désintérêt grandissant des jeunes Africains-Américains pour
le base-ball, qui continuent à préférer le football et le
basket-ball.
Dans un sondage Harris Interactive publié en janvier, seuls
7·% des Africains-Américains adultes ont déclaré que le
base-ball était leur sport favori. Il faut dire que d'autres
minorités sont de plus en plus présentes sur le terrain·:
près de un joueur de première division sur trois est
hispanique ou asiatique. Grâce à eux, le pourcentage global
de joueurs issus de minorités dans la MLB est monté à 40,5·%
cette année, soit le plus haut jamais atteint.
La diminution du nombre de joueurs africains-américains
pourrait avoir des conséquences négatives sur les efforts
réalisés pour augmenter la représentation des Noirs dans les
postes de marketing et au niveau de l'entraînement. "Je n'ai
aucun doute que des emplois seront proposés", explique Ken
Williams, directeur général adjoint des Chicago White Sox et
seul Africain-Américain à occuper cette position dans un
club de première division. "Ce qui m'inquiète, c'est qu'il
va y avoir de moins en moins de candidats africains-américains.
Alors, comment allons-nous augmenter leur représentation·?
Où allons-nous les trouver·?"
Des programmes pour les jeunes
Le base-ball a fait ces dix dernières années d'importants
progrès au niveau de la diversité globale, et l'Institute
for Diversity and Ethics in Sports de l'University of Central
Florida (UCF), qui étudie chaque année la composition ethnique
et sexuelle de divers clubs sportifs professionnels et
universitaires, lui a attribué en 2006 la meilleure note de
toute son histoire. Ce résultat a été obtenu grâce aux
diverses initiatives qu'elle a lancées dans ce domaine.
Selon la MLB, le Diversity Business Partner's Programm,
inauguré en 1998, aurait ainsi consacré plus de 400·millions
de dollars au financement de milliers d'entreprises créées
par des femmes ou des membres de minorités ethniques. L'année
dernière, la MLB a ouvert une école de base-ball au Compton
Community College, de Los Angeles, une installation qui lui
a coûté 10·millions de dollars, et elle continue son programme
RBI, qui accorde des subventions aux Boys and Girls Clubs
of America qui veulent créer ou développer des clubs de
base-ball ou de soft-ball dans leurs villes. Ces projets
toucheraient 185·villes et 120·000·jeunes. Un match pour les
droits civiques a également été organisé à Memphis, et les
recettes iront à plusieurs œuvres de bienfaisance.
La MLB est également associée au syndicat des joueurs de
base-ball dans le Baseball Tomorrow Fund, qui aurait accordé
plus de 10·millions de dollars de subventions pour encourager
les jeunes à jouer au base-ball et au soft-ball. "Je suis
prêt à gravir le sommet d'une montagne pour clamer [qu'une
meilleure représentation des Noirs] est une priorité [pour
la MLB et ses 32·clubs], déclare Williams. Il n'y a pas
seulement un intérêt commercial à garder le nom de Robinson
vivant, ainsi que l'espoir et la vision qu'il y a derrière
ce nom."
Richard Lapchik, directeur de l'Institute for Diversity and
Ethics in Sports, voit une certaine ironie dans le double rêve
de Robinson d'augmenter la représentation des minorités sur
le terrain et en dehors. "Au moment de sa mort [en 1972],
les Africains-Américains commençaient à émerger en tant que
joueurs, mais ils étaient pratiquement absents dans les postes
de marketing et de direction. Cela s'est beaucoup amélioré,
explique-t-il. La partie de son rêve où les Africains-Américains
s'imposaient grâce à leurs muscles a pris l'autre direction."
Une désaffection croissante
C.C. Sabathia, le lanceur des Cleveland Indians, est le dernier
joueur en date à avoir tiré la sonnette d'alarme au sujet de
la diminution du nombre de Noirs dans le base-ball. Selon lui,
tous les acteurs du base-ball doivent travailler ensemble à
résoudre ce problème. "Toutes les réactions [à cette
suggestion] sont bonnes, a-t-il déclaré, parce que rien n'est
fait."
Beaucoup de footballeurs et de basketteurs africains-américain
s actuels auraient certainement choisi le base-ball s'ils
étaient nés une génération plus tôt. Il existe presque plus
de théories pour expliquer cette désaffection que de joueurs
de base-ball. "Ils ont créé une tornade parfaite", déclare
Solomon à propos des bourses attribuées aux garçons voulant
jouer au football ou au basket, du coût des équipements de
base-ball, du parrainage des Africains-Américains stars du
basket-ball par de grandes marques de chaussures et des clubs
de base-ball qui vont presque exclusivement chercher leurs
joueurs en Amérique latine. Et, pendant que le basket-ball
vend des stars comme LeBron James et Kobe Bryant (des sirènes
qui attirent beaucoup de jeunes Africains-Américains), le
base-ball vend les bons moments passés dans un stade –·un
produit beaucoup moins attrayant. "Les gosses ne disent pas
qu'ils veulent jouer au Yankee Stadium quand ils seront
grands", commente Winfield.
D'après Solomon, ce n'est pas la NBA qui a eu la bonne idée
de vendre des stars, mais des marques de vêtements et de
chaussures de sport telles que Nike. Il pense également que
le base-ball doit faire mieux que le basket. "Nous devons
chercher des moyens pour que nos joueurs attirent l'attention
des supporters actuels et potentiels", précise-t-il.
Selon Torii Hunter, originaire de Pine Bluff (Arkansas),
beaucoup de jeunes Africains-Américains considèrent les
critiques des médias et du public contre la superstar
Barry Bonds comme racistes. Bonds, qui est indiscutablement
le meilleur joueur de base-ball noir et n'est pas loin de
battre le record de home-runs détenu par Hank Aaron, est
soupçonné d'utiliser des stéroïdes depuis plusieurs années.
"Barry Bonds est la seule grande figure noire du base-ball,
et les gens voient qu'on lui fait constamment passer des
examens et qu'il n'est jamais contrôlé positif, explique
Hunter. Alors, [les jeunes Noirs] pensent·: 'Ce sport n'est
pas pour nous'."
Mike Dodd,
USA Today
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